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Accélérer la mise en place d’une économie du 3RV (SANS LE « E »…)

Avec la collaboration de Marc Journeault

Les tribulations récentes liées à l’affaire Ricova et la sortie, également récente, de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, sur la nécessité de s’attaquer dès maintenant à l’enfouissement de nos matières résiduelles par une écofiscalité appropriée ne sont que deux manifestations d’un ensemble de faits qui pointent dans une direction évidente, mais complexe à mettre en œuvre : la réduction à la source et la circularisation de l’économie. C’est également ce qui ressort du rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) publié le 25 janvier dernier.

Plusieurs citoyens, dirigeants d’entreprises et gouvernements perçoivent encore le recyclage comme le Saint-Graal pouvant résoudre nos problèmes environnementaux ainsi que comme la manifestation concrète d’une économie circulaire, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Premièrement, le bac bleu (ou vert) ne vise qu’à collecter les imprimés et les emballages. Comparativement à l’empreinte environnementale des produits eux-mêmes, celle des emballages ne représente tout au plus que 10 %. Aussi, il est étonnant de constater, après plus de trente ans de collecte sélective et de multiples campagnes de sensibilisation, qu’une frange importante de la population québécoise dépose encore dans son bac toutes sortes d’articles autres que les emballages et les imprimés, lesquels viennent perturber les activités de recyclage et contaminer les flux de matières. Un autre enjeu important réside dans le fait qu’une part importante de la population n’est pas encline à faire l’effort d’aller porter ses produits en fin de cycle ou de vie dans les écocentres. À sa décharge, leur emplacement et leurs heures d’ouverture limitées constituent sans doute des freins importants. Le résultat de tout ça ? Des sites d’enfouissement qui débordent et la nécessité sans cesse renouvelée de développer de nouvelles cellules pour accueillir de plus en plus de matières résiduelles. Ajoutez à cela les faibles coûts d’enfouissement qui prévalent au Québec et vous avez une combinaison parfaite pour le maintien d’une économie linéaire axée sur la dilapidation des ressources et responsable d’une part importante des émissions de GES que l’on cherche à réduire (les sites d’enfouissement représenteraient en effet environ 23 % des émissions de méthane au Canada).

Mais comment réduire à la source la production de déchets ? La réponse simple serait d’internaliser la totalité des répercussions environnementales et sociales (que l’on nomme « externalités ») dans le prix des matières premières qui composent les produits. Cette opération décuplerait évidemment le coût de revient des manufacturiers, lesquels refileraient bien entendu la facture aux détaillants, qui augmenteraient ensuite les prix pour les consommateurs. Cela peut paraître draconien, mais en réalité, ces coûts existent bel et bien et finiront par être assumés par les générations suivantes. Autrement dit, nous vivons à crédit sur le plan environnemental. Cela dit, les politiciens sont en général allergiques à ces mesures impopulaires, et les accords commerciaux qui lient le Canada à ses partenaires économiques ne permettent pas aisément d’inclure une « taxe » environnementale sur les matières premières ou sur les produits finis. Il n’est pas impossible d’y arriver, mais cela va prendre du temps, beaucoup de temps ; un luxe que nous n’avons collectivement pas.

Mais alors, comment stimuler le premier « R » du 3RV-E, soit la réduction à la source, dans un tel contexte ?

L’économie circulaire, dont l’objectif est de conserver sur le marché la valeur des produits et de leurs composants qui y circulent, en vue de réduire le recours aux ressources vierges et de cesser l’élimination, repose sur une série de stratégies divisées en quatre groupes : (1) celles qui s’attardent à la reconception et à la fabrication des produits ; (2) celles qui cherchent à intensifier l’usage des produits, par exemple grâce à l’économie de partage et à la mutualisation ; (3) celles qui favorisent l’allongement de la durée d’usage des produits, comme la réparation et le reconditionnement ; et (4) celles qui permettent la réintroduction des matières dans l’économie, comme par le recyclage, ou leur valorisation (par exemple, énergétique). Toutes ces stratégies permettent de maintenir les produits et leurs composants le plus longtemps possible sur le marché et, de fait, de réduire le recours aux matières vierges pour répondre à la demande. Comme cette dernière est corrélée à l’accroissement de la population et de ses besoins, et que la matière finit par se dégrader, le besoin en ressources vierges sera toujours présent, mais l’idée est d’en réduire le taux de prélèvement.

Parmi les solutions les plus prometteuses associées à l’économie circulaire et permettant de stimuler le premier « R » du 3RV-E (et donc de réduire la consommation de ressources vierges), on trouve l’économie de fonctionnalité. Selon cette pratique d’affaires, une entreprise manufacturière demeure propriétaire de ses produits (son capital matière), dont elle vend l’usage ou une performance, et non le produit lui-même. Ce modèle présente plusieurs avantages tant sur le plan environnemental que sur le plan économique. Pour qu’il soit rentable, toutefois, la performance offerte doit reposer sur des produits durables, réparables, évolutifs et dont les composants doivent être réutilisables et en bout de piste recyclables. Ainsi, d’un client à l’autre, moins le manufacturier doit intervenir sur son produit, plus il accroît sa marge bénéficiaire.

Ce modèle d’affaires implique toutefois la définition d’un nouveau type de « partenariat » avec les distributeurs et les consommateurs, la création d’outils de traçage des produits dans la « boucle » de valeur, l’établissement d’une nouvelle approche logistique (inverse) qui permet de ramener le produit du consommateur vers le manufacturier, et la mise en place de nouveaux types de soutiens de la part des institutions financières, des investisseurs et des assureurs. Encore peu répandue, l’économie de fonctionnalité fait présentement l’objet d’un projet pilote dans six territoires québécois auprès d’une vingtaine de PME, l’idée étant de dégager des lignes directrices et d’encourager davantage d’entreprises à adopter ce modèle. Quoi qu’il en soit, même si l’économie circulaire, y compris l’économie de fonctionnalité, a le potentiel de rendre caduc l’enfouissement, il n’en demeure pas moins que les citoyens des États développés (dont le Québec), grands consommateurs de ressources, devront, plus tôt que tard, se poser la question : « En ai-je vraiment besoin ? »

Pour aller plus loin :

 

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