Gestion des matières résiduellesAndré P. Watté et Raymond Boutin Deux grands bâtisseurs nous ont quittés

André P. Watté et Raymond Boutin Deux grands bâtisseurs nous ont quittés

Par Guy Des Rochers

Plusieurs pionniers et bâtisseurs sont aujourd’hui des héros méconnus de notre quotidien. Entre autres, c’est le cas de quelques visionnaires grâce à qui le Québec est aujourd’hui un leader incontesté en Amérique du Nord dans le domaine de la collecte et de la gestion des matières résiduelles.

André P. Watté et Raymond Boutin, décédés en 2021, font partie de cette race d’hommes plus grands que nature, dont la passion, la détermination et la créativité apportent encore aujourd’hui de nombreux bénéfices à notre société.

À la tête d’une petite entreprise familiale, Raymond Boutin s’est tenu debout face aux multinationales, pour le plus grand bien de la libre entreprise québécoise, aussi modeste soit-elle. Quant à André P. Watté, l’introduction du bac roulant au Québec, c’est lui qui en est l’instigateur et le maître d’œuvre.

Un visionnaire pragmatique

« Le bac roulant a révolutionné le mode de collecte et de gestion des matières résiduelles au Québec, et nous sommes les premiers en Amérique du Nord à l’avoir adopté », affirme Léo Fradette, qui a été directeur général de l’Association des entrepreneurs en services sanitaires du Québec de 1981 à 1990 et qui siège actuellement au conseil d’administration de RECYC-QUÉBEC.

À l’époque, André P. Watté, Belge d’origine, était le représentant au Québec de l’entreprise SSI Schaefer, système international, un fabricant de bacs roulants établi en Allemagne.

« Quelques entrepreneurs québécois avaient pris contact avec M. Watté à l’occasion d’expositions en Europe, au milieu des années 1980, et souhaitaient l’implantation au Québec du bac roulant, explique M. Fradette. M. Watté, qui était un visionnaire pragmatique, avait d’abord proposé à la Ville de Drummondville un essai pour une période d’environ six mois, sans frais, auprès de 3 000 foyers, avec la collaboration de son collecteur, la société Cascades. Ce projet-pilote à Drummondville a été l’amorce d’une petite révolution au Québec. »

Un verseur universel fait au Québec

« C’est M. Watté qui m’a demandé, en 1988, de travailler avec lui pour l’entreprise Schaefer », relate non sans émotion Daniel Gingras.

« Moi, j’étais un vidangeur au sein de notre petite entreprise familiale de collecte des déchets, à Saint-Ubalde, dans le comté de Portneuf. Quelle présence avait cet homme ! Quelle culture ! Il était, selon moi, le meilleur vendeur au monde. Quand tu l’écoutais parler, tu pensais qu’il “pétait de la broue”, mais c’était tout vrai, ce qu’il avançait ! », ajoute M. Gingras, visiblement admiratif de cet homme qui, selon lui, a eu une grande influence sur sa vie et celle de sa famille.

« Il a changé notre destin, évoque Daniel Gingras. Mon père Apollinaire, mon frère Mario, mon oncle Serge et moi-même avons créé l’entreprise Les Bras de fer Gingras. À l’époque, le principal obstacle à l’introduction du bac roulant, c’était sa levée. Aujourd’hui, 99,9 % des camions de collecte sont équipés d’un verseur de type universel des Bras de fer Gingras. Les Allemands possédaient un verseur extraordinaire, mais il coûtait 35 000 $ ! Mon oncle, qui savait à peine lire, mais qui était un inventeur né, a dit : “On va faire un verseur, puisqu’il n’en existe pas ici.” Pour 3 500 $, le nôtre s’adaptait à nos intempéries et à toutes sortes de camions, à chargement arrière comme à chargement latéral. »

Pour Léo Fradette, le bac roulant a structuré l’organisation de la collecte : « L’un de ses apports importants est l’uniformisation des contenants utilisés pour la récupération des matières résiduelles. » Par ailleurs, l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) soulignait, en 1995, que la collecte mécanisée limitait, pour ne pas dire éliminait, les contacts des éboueurs avec « les pochettes surprises que sont les sacs et boîtes de carton. De plus, n’ayant plus besoin de soulever quoi que ce soit à bout de bras, l’éboueur évite maux de dos, entorse, etc. »

Raymond Boutin, défenseur de la petite entreprise

L’histoire de Raymond Boutin est tout aussi intéressante. Pionnier dans le domaine de la collecte des déchets du grand Montréal, il créa en 1974 son entreprise familiale, Services sanitaires Boutin, et tous les membres de sa famille – femme et enfants – étaient impliqués dans les activités de celle-ci. Il a été un membre actif de l’Association des entrepreneurs en services sanitaires du Québec, dont il a été tantôt directeur, tantôt président. « L’époque de Raymond Boutin correspond à la venue au Québec de multinationales prêtes à acheter des entreprises québécoises, relate Léo Fradette. Raymond, lui, ne voulait pas vendre son entreprise, il voulait la développer et avoir la possibilité de soumissionner à des contrats de la Ville de Montréal. Raymond Boutin s’est tenu debout devant les multinationales. Il a marqué son époque par son désir d’améliorer les opérations de collecte et de transport des matières résiduelles. Il a notamment plaidé à plusieurs reprises afin que le territoire des contrats municipaux à octroyer soit divisé de manière à permettre aux plus petites entreprises de soumissionner et de faire la comparaison entre les coûts des collectes effectuées par l’entreprise privée et celles effectuées par la Ville. Autre exploit, il est parvenu à convaincre le ministère de l’Environnement et celui des Affaires municipales de développer un appel d’offres normalisé pour tout le Québec ». Daniel Gingras a lui aussi eu l’occasion de croiser Raymond Boutin, notamment en 1989, alors qu’il était très impliqué dans l’Association des vidangeurs. « Il était très loquace, il ne manquait pas de culot et puisqu’il se levait tard, il faisait ses rencontres après le dîner, en début d’après-midi, alors que tout le monde était un peu fatigué, évoque M. Gingras, non sans humour. Il me disait : “Je ne prends jamais de rendez-vous le matin, mais en après-midi seulement, car là, je suis crinqué, en pleine forme, et tu ne laisses parler personne, c’est toi qui leur parles !” Et il était convaincant, je vous en passe un papier ! », conclut Daniel Gingras

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