Gestion des matières résiduellesÉconomie circulaireCircularité des plastiques : des approches innovantes à l’horizon

Circularité des plastiques : des approches innovantes à l’horizon

Par Daniel Normandin, Directeur du CERIEC

Qui n’a pas été touché par les images de tortues enchevêtrées dans les attaches de plastique de cannettes de bière, de baleines mortes dont les estomacs étaient remplis de déchets de plastique, ou d’oiseaux de mer étouffés par ces mêmes types de déchets ? Dans ces trois cas, la cause demeure essentiellement la même : les pertes par abandon à l’étape de fin de vie de ces produits, en forte proportion (87 %, selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement) à usage unique. Qu’ils se retrouvent dans l’eau ou sur terre, avec le temps, l’action mécanique et les rayons UV finissent par scinder ces produits de plastique en microparticules, voire en nanoparticules, qui ont la capacité de voyager loin, très loin (on en retrouve jusque dans le cercle article), et de contaminer les chaînes alimentaires. Les particules de plastique proviennent également d’autres sources, par exemple les microbilles dans les produits cosmétiques et industriels, les microfibres synthétiques qui se retrouvent dans les eaux de lavage des vêtements, etc.

Au Canada, comme partout ailleurs, les chaînes de valeur des produits à base de plastique sont majoritairement linéaires. En 2016, au pays, seuls 9 % des plastiques, toutes sources confondues, ont été recyclés, alors que 86 % ont été enfouis, 4 % incinérés avec récupération d’énergie et 1 % perdus dans l’environnement. Autrement dit, les Canadiens jetteraient plus de trois millions de tonnes de déchets de plastique chaque année. Par conséquent, les plastiques se retrouvent massivement dans les sites d’enfouissement et les incinérateurs et ils contribuent à polluer l’environnement. Les plastiques non récupérés, soit ceux qui sont enfouis, incinérés et égarés dans l’environnement, représenteraient une perte économique de 7,8 milliards de dollars canadiens, et ce chiffre pourrait atteindre plus de 11 milliards d’ici 2030. Réduire les déchets de plastique peut donc éviter des coûts, des pertes de valeur et des gaz à effet de serre (GES) et autres impacts sur l’environnement, tout en créant des emplois et en favorisant la santé humaine et celle des écosystèmes.

Face à l’enjeu de la fin de vie des plastiques, le gouvernement du Canada a co-signé, en 2018, la Charte sur les plastiques dans les océans, laquelle établit les cibles suivantes :

  • D’ici 2030 :
    • 100 % de produits de plastique devront être réutilisables et recyclables ;
    • accroître de 50 % le contenu recyclable des produits de plastique ;
    • recycler et réutiliser au moins 55 % des emballages de plastique.
  • Et d’ici 2040 :
    • récupérer 100 % de tous les plastiques en fin de cycle.

Pour concrétiser son engagement, le gouvernement canadien s’est doté d’un programme global visant à atteindre zéro déchet de plastique afin de garder le plastique dans l’économie et hors de l’environnement. Ce programme inclut diverses stratégies et initiatives (voir les références ci-dessous). Au Québec, le Plan d’action 2019-2024 de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles vise, entre autres, à réduire les plastiques et les produits à usage unique et à recycler 75 % du plastique d’ici 2023. Mais comment accroître considérablement la circularité des plastiques ? Un des freins majeurs est lié au prix extrêmement faible de la résine vierge comparativement à celui de la résine recyclée. L’industrie pétrochimique extractive étant fortement subventionnée et les externalités environnementales étant peu ou pas intégrées dans le prix de la résine vierge, le faible coût de celle-ci n’encourage pas la récupération des produits de plastique en fin de cycle. Ainsi, l’internalisation des impacts environnementaux (GES et autres) dans le prix des ressources serait sans doute le meilleur moyen de les circulariser davantage, car les agents de marché disposeraient d’une information plus juste pour orienter leurs décisions. Mais ce mécanisme exigerait de revisiter et de renégocier les accords commerciaux que le Canada a signés avec ses partenaires internationaux, ce qui n’est pas chose simple. Les gouvernements peuvent également cesser de subventionner l’industrie pétrolière et gazière (comme on en discute en ce moment sur la place publique) et rediriger une partie de ces subventions vers les récupérateurs/recycleurs, mais les résines utilisées dans les produits ne proviennent pas uniquement du Canada, même s’il s’agit d’un marché important (35 G$ au Canada en 2019). Enfin, les gouvernements peuvent imposer des contenus en plastique recyclé dans les produits, qu’ils soient ou non à usage unique.

Cela dit, certains industriels sont conscients des problèmes liés à la linéarité des plastiques et ils adoptent une attitude proactive. C’est le cas du Groupe d’action sur les plastiques circulaires (GAPC), qui mise sur « une collaboration inédite entre des entreprises de produits de consommation, des producteurs d’emballages et une association industrielle » pour développer la circularité des plastiques. Ses travaux actuels, qui visent les emballages plastiques, a donné lieu à la publication récente d’un livre blanc (https://www.gapc.ca/wp-content/uploads/2021/09/white-paper-final.pdf).

Le CERIEC propose également une approche innovante sous la forme de laboratoires (labs) d’accélération en économie circulaire. Ces « laboratoires vivants » visent à réunir les acteurs clés d’une chaîne de valeur donnée. En collaboration avec des chercheurs de diverses disciplines pertinentes au secteur et sous la coordination d’une personne compétente, les acteurs rassemblés définissent les obstacles à la circularité des ressources dans le secteur concerné, cocréent les solutions pour lever ces obstacles et les valident sur le terrain. Ainsi, en invitant tous les joueurs clés à participer ensemble aux diverses étapes du lab, on maximise l’appropriation et la mise en œuvre des solutions validées. Grâce à un soutien de Desjardins, un premier lab du genre a été lancé en avril 2021 sur le secteur de la construction. Un autre lab, portant cette fois sur les plastiques à usage unique dans le secteur de la santé, est présentement en montage. La multiplication de ces labs formera, au cours des années à venir, un écosystème où les apprentissages de chaque lab bénéficieront à l’ensemble ; en somme, une mini-économie circulaire qui devra être mise à l’échelle de la planète pour, enfin, faire converger économie et environnement !

Avec la collaboration de Chantal Rossignol

Références
Conseil canadien des ministres de l’environnement. (2018). Stratégie visant l’atteinte de zéro déchet de plastique.
Conseil canadien des ministres de l’environnement. (2019).
Plan d’action pancanadien visant l’atteinte de zéro déchet de plastique. Phase 1.
Conseil canadien des ministres de l’environnement. (2020).
Plan d’action pancanadien visant l’atteinte de zéro déchet de plastique. Phase 2.
Environnement et Changement climatique Canada. (2019).
Étude économique sur l’industrie, les marchés et les déchets du plastique au Canada. Rapport sommaire.
Environnement et Changement climatique Canada. (2019). Le programme scientifique canadien sur les plastiques.
Gouvernement du Canada. (2020). Stratégie pour un gouvernement vert. lien
Gouvernement du Canada. (2021). Réduction des déchets de plastique et de la pollution. lien
 

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