ReportageCollecte sélective une révolution en marche

Collecte sélective une révolution en marche

Par Samuel Larochelle

En raison du grand nombre d’organismes municipaux (il y en a plus de 560), qui se chargent de la collecte sélective chacun à sa façon, de la qualité quelquefois douteuse des matières recyclées et de l’absence de reddition de comptes des centres de tri, la confiance de la population québécoise envers le système de recyclage et de récupération ne cesse de diminuer. En parallèle, l’insatisfaction des entreprises mettant en marché des contenants, des emballages et des imprimés continue d’augmenter, puisqu’on leur demande de financer un système sans leur permettre de veiller à son rendement. Après des années de tergiversations, le gouvernement du Québec souhaite maintenant renverser ces tendances en confiant à Éco Entreprises Québec (ÉEQ) le mandat de gérer le système sur tout le territoire de la province. Sa PDG, Maryse Vermette, nous parle de son « projet de vie ».

Le 24 octobre 2022, ÉEQ a été sélectionné comme organisme de gestion désigné (OGD) pour mener la modernisation du système de collective sélective, au terme d’une importante réflexion du gouvernement et d’une étude commandée au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) par le ministre provincial de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette.

Pourquoi cette organisation plutôt qu’une autre ? Parce qu’elle collabore étroitement avec les producteurs depuis 2005. « Cette année-là, la Loi sur la qualité de l’environnement avait institué un principe voulant que les producteurs, soit les entreprises que nous représentons, étaient financièrement responsables du système de collecte sélective au Québec, explique Maryse Vermette. Depuis, ÉEQ joue un rôle de percepteur auprès de ceux-ci : nous percevons les sommes nécessaires pour indemniser les municipalités en ce qui concerne les coûts du système de collecte sélective. Nous sommes les financiers du système. C’est notre rôle premier. »

Assez rapidement, un problème est apparu : les producteurs ont l’impression de signer des chèques en blanc. « Ils paient un système sans avoir droit de regard sur la façon dont celui-ci est exploité, géré et encadré. Il n’y a pas de reddition de comptes sur les taux de récupération ni sur les taux de recyclage. Après toutes les crises de recyclage qu’on a connues au cours des dernières années, cela devenait un enjeu. Les entreprises voulaient encadrer le système qu’elles financent. »

Ce désir de saine gestion est nommé, expliqué et répété depuis une décennie. « Depuis 2005, j’ai vu toutes les démarches réalisées auprès des différents gouvernements et ministres qui se sont succédé, afin de les sensibiliser à notre vision, pour que les entreprises puissent avoir le contrôle du système et pas seulement signer un chèque une fois par année. »

Après avoir été entendu et avoir assisté aux changements législatifs et réglementaires au cours des deux dernières années, Éco Entreprises Québec a à l’automne 2022 été désigné par RECYC-QUÉBEC comme leader du nouveau système. En entrevue, Maryse Vermette parle d’un aboutissement. On pourrait quasiment dire que c’est un soulagement pour celle qui a mené le projet à bout de bras.

Écolo avant l’heure

Ouvrons une parenthèse sur son parcours pour mieux comprendre son attachement à la protection de l’environnement. « Dans ma jeunesse, j’étais membre des jeunes naturalistes, se souvient-elle avec un sourire dans la voix. À une époque où on parlait peu de protection de l’environnement, ça m’animait déjà. Toute ma vie, j’ai été préoccupée par la mise en place de mesures pour éviter la pollution, pour protéger les terres agricoles et pour bien gérer nos déchets. »

Elle a été témoin de première ligne en œuvrant pendant quinze ans à l’aménagement urbain du territoire pour la municipalité régionale de comté (MRC) de Marguerite-D’Youville. « C’est un passage important dans ma vie professionnelle. Comme une MRC est un lieu de regroupement de services, j’ai travaillé à mettre en place différents types de services publics, comme le transport adapté, une cour municipale régionale et l’unification des services de police sur la Rive-Sud de Montréal. J’ai aussi travaillé dans le domaine du développement économique, mis en place un conseil local de développement et contribué à la protection du territoire agricole. »

Par-dessus tout, elle a instauré le premier système régional de collecte sélective du Québec au début des années 1990. « Nous étions des précurseurs ! » Durant cette période, elle a été nommée représentante de la Fédération québécoise des municipalités sur le conseil de Collecte sélective Québec, plus ou moins l’ancêtre d’ÉEQ, alors que l’organisation gérait des fonds privés pour appuyer les municipalités dans l’implantation de la collecte sélective. « À cette époque, les entreprises qui contribuaient à ce fonds trouvaient que ce n’était pas équitable, car certaines y contribuaient sur une base volontaire tandis que d’autres n’y contribuaient pas. Nous avons donc travaillé pour faire en sorte que les producteurs deviennent financièrement responsables du système. »

L’industrie lui a alors demandé si elle voulait mettre sur pied la nouvelle organisation afin de gérer le régime de compensation. Non seulement a-t-elle dit oui, mais elle n’est jamais partie. « Pour moi, c’est un projet de vie ! Ce qui se passe actuellement, la transformation que nous allons vivre au cours des prochaines années, c’est l’aboutissement d’une vision que j’ai personnellement portée. »

En effet, elle a réussi à susciter l’adhésion de son conseil d’administration, des entreprises, du gouvernement et de diverses parties prenantes du milieu municipal. « C’est un gros changement pour les municipalités. C’est un transfert de responsabilité vers les entreprises. Il fallait que les municipalités deviennent des partenaires et non des opposants. »

En plus de tenir à la cohésion entre les intervenants, Maryse Vermette veut redonner au public confiance envers le système de collecte sélective et l’encourager à récupérer encore plus et mieux. « Il y a encore beaucoup de travail à faire. Nos taux de récupération stagnent depuis des années. Il faut redonner une deuxième vie à la matière que l’on met dans les bacs pour favoriser la circularité. »

Ne comptez pas sur elle pour baisser les bras. « C’est mon legs à la société québécoise. Il me reste encore quelques années avant la retraite, et je veux bien ancrer le projet. »

Un OGD à transformer

La nomination d’Éco Entreprises Québec comme OGD du nouveau système a suscité des réactions plus que positives. Toutefois, les membres de l’équipe sont conscients de la montagne à gravir pour opérer ce changement de paradigme.

« Nous serons en transition organisationnelle. Même si nous connaissons bien la chaîne de valeur du recyclage et que nous avons plusieurs experts à l’interne, nous devons nous assurer que l’équipe suivra. Comme nous devrons créer une équipe de vendeurs des matières recyclables que l’on retrouve dans les bacs, l’organisation va grossir. »

Peu à peu, ÉEC passera de cinquante à près de cent employés pour bien s’occuper d’un marché d’au moins 300 millions de dollars. Malgré la pénurie de main-d’œuvre, la PDG ne croit pas avoir du mal à pourvoir les postes à venir. « Nous sommes attractifs grâce à notre mission : “De la collecte sélective à l’économie circulaire, ensemble pour un monde durable”. Nous voulons changer les choses et améliorer le système. Les gens ont envie de donner un sens à leur carrière et de faire partie de quelque chose de plus grand qu’eux, pour se sentir satisfaits au travail et pour avoir l’impression de contribuer à améliorer le domaine. »

Si la planification de la modernisation avait commencé avant que les changements réglementaires soient terminés, le rythme s’est accéléré depuis. « Le transfert complet du système aura lieu le 1er janvier 2025, dans moins de deux ans. Nous avons beaucoup de livrables à très court terme. Il y a de la fébrilité et des appréhensions, mais je dis à mon équipe : “ Yes, we can! ” Je sais que nous allons réussir. »

ÉEQ se donne jusqu’en 2030 pour arriver à un système mature. Pour ce faire, l’organisation pourra miser sur l’industrie qui a exercé une pression positive en faveur de sa désignation. Si certains observateurs pourraient affirmer que cela relevait de l’évidence, Mme Vermette préfère nuancer la situation. « Je crois que c’est l’une des premières fois, au Québec, qu’on enlève une responsabilité au monde municipal pour la donner au privé. Ça demandait beaucoup de courage de la part du gouvernement. Après toutes les crises du recyclage, le statu quo n’était plus une option et il fallait aller ailleurs. »

Elle était loin d’être seule à vouloir revoir le système opaque. « Les recycleurs nous disent depuis des années qu’ils achètent de la matière avec un taux de contamination important. Les centres de tri, qui sont soumis à un processus d’appel d’offres public, étaient choisis selon le plus bas soumissionnaire. Les meilleures pratiques n’étaient pas nécessairement appliquées partout. Il nous faut une approche systémique, l’encadrer avec les mêmes règles du jeu pour tout le monde, et nous soucier de la qualité et de la traçabilité de la matière. »

Pour rallier tout le monde, la gestionnaire et son équipe ont mené l’équivalent d’une campagne électorale… sans grande opposition. « C’était un passage obligé en vertu du règlement. Nous devions déposer notre candidature à RECYC-QUÉBEC et recevoir un appui formel des producteurs. C’est pour ça que nous avons mis en place une campagne d’appui. »

Les entreprises devaient signifier leur appui de façon formelle dans une période assez courte, en plein été. « Nous avons obtenu plus de 2000 appuis. Nous en sommes très fiers. C’est une belle marque de confiance. On parle d’entreprises du Québec et d’ailleurs. Pour elles, il allait de soi que ce rôle nous revenait. »

Rallier les producteurs en amont

Si l’opposition était faible, voire inexistante, c’est entre autres parce qu’Éco Entreprises Québec s’impliquait depuis longtemps auprès des intervenants de la collecte sélective : une façon de préparer le terrain.

« Nous nous étions donné le sobriquet d’optimisateurs de la collecte sélective sur une base volontaire, souligne la PDG Maryse Vermette. Nous faisions de l’accompagnement. Nous donnions des conseils. Il y a eu de belles réalisations. Ces démarches faisaient en sorte que nous étions en mesure de démontrer que nous avions la capacité d’aller plus loin et que nous serions capables d’assumer les responsabilités pleines et entières du système. »

Tout au long du processus, l’organisation s’est assurée de consulter les entreprises. « Nous avons fait des représentations et tenu des webinaires avec les producteurs malgré la pandémie, en plus d’organiser plusieurs activités de sensibilisation. Nous représentons les producteurs. Nous avons porté leur voix. »

Le nouveau règlement gouvernemental impose certaines obligations de gouvernance. « Le conseil d’administration de notre organisme à but non lucratif doit être formé de représentants des producteurs, ce qui était déjà le cas, et de représentants de la chaîne de valeur, des experts. Le gouvernement est venu préciser certains critères portant sur la composition de notre CA, mais nous étions déjà une organisation regroupant des producteurs. »

Pendant la transition, Éco Entreprises Québec portera deux chapeaux : celui d’organisme agréé pour le régime de compensation jusqu’en 2025 et celui, tout récent, d’organisme de gestion désigné du nouveau système.

Un immense défi après l’autre

Quand on lui demande quels sont les plus grands obstacles qui se dresseront sur la route de son organisation, Maryse Vermette répond sans hésiter : convaincre les 560 organismes municipaux (MRC, villes, petites municipalités et autres) de se regrouper pour faciliter la collective sélective.

N’allez pas croire qu’ÉEQ souhaite tasser les municipalités. Au contraire. « J’ai travaillé dans le monde municipal pendant quinze ans, rappelle-t-elle. Je sais que les municipalités sont les mieux placées pour offrir un service de première ligne à leurs citoyens. Ça fait partie de leur ADN. Il est important qu’elles jouent un rôle névralgique dans cette modernisation. »

Elle veut donc faire des municipalités des fournisseurs de services – bien qu’elle préfère le mot partenaires – dans la collecte et le transport de la matière. « Il faut contracter des ententes avec elles qui comprendront un devis type qu’elles devront utiliser pour lancer des appels d’offres de collecte. Pour ce faire, il faut que les municipalités se regroupent. »

Le regroupement n’est pas une suggestion ni un caprice. « L’optimisation passe par une masse critique, afin de nous assurer que le système de collecte soit performant. Je sais que certaines municipalités n’aiment pas se regrouper pour offrir des services, mais nous allons uniquement signer des ententes avec des organisations représentant des municipalités ayant une masse critique suffisante. » Maryse Vermette rappelle que les municipalités n’auront plus aucune responsabilité financière dans le secteur. « Elles recevront un chèque d’ÉEQ pour être dédommagées et elles n’auront plus à taxer leurs citoyens pour ce volet. L’OGD paiera l’entièreté des dépenses. En résumé, nous leur disons : “Regroupez-vous, et vous ne subirez aucun impact financier.” »

Éco Entreprises Québec souhaite collaborer avec environ 200 organismes municipaux. Et pour bien expliquer les nombreux changements à venir, l’organisation fera une tournée des municipalités. « Nous avons déjà commencé la tournée, puisque j’ai rencontré les préfets des MRC au début décembre, mais je souhaite maintenant me promener à travers le Québec. Nous ne voulons pas gérer cela en direct de notre bureau à Montréal. Nous voulons rencontrer les gens chez eux et prendre le temps de jaser avec eux. »

L’objectif : démystifier le système et leur faire comprendre l’obligation de résultat. « Notre but est d’avoir le meilleur rapport qualité-prix. Le système est sous-capitalisé. Il manque d’investissements. Il faut investir dans un système de traçabilité de la matière et dans nos centres de tri pour avoir une matière de meilleure qualité. Ensuite, les revenus de revente de cette matière pourraient être supérieurs. »

La mise en commun des ressources municipales permettra certainement d’autres économies. « En regroupant les municipalités, il n’y aura plus de camions à moitié vides qui vont se promener sur les routes. Il y aura une optimisation des coûts de collecte et de transport. Dans un horizon de cinq ans, cela donnera des résultats positifs sur le plan financier. »

Horizon 2030

Les marqueurs temporels ne manquent pas. ÉEQ veut commencer les transferts de responsabilité en 2024 et terminer la transition en 2025. Par la suite, la modernisation du système de collecte s’étendra à tous les secteurs d’activité de la société. « Le gouvernement nous donne l’obligation d’encadrer un programme de collecte dans les lieux publics, dans les commerces, dans les industries, dans les hôpitaux et dans les universités. Ce sera un énorme défi ! »

Ce n’est pas tout. ÉEQ aura également la responsabilité de collaborer avec les communautés éloignées et celles du Grand Nord québécois. « Nous travaillons avec les communautés autochtones pour nous assurer qu’elles pourront elles aussi avoir accès à un service. Nous ne pouvons pas aborder la gestion de ce service avec une communauté innue du Grand Nord comme avec une municipalité qui gère ce service depuis trente ans. Ça aussi, ce sera un gros défi. »

L’an 2030 sera un moment névralgique.

« On nous demande de faire en cinq ans ce qu’on n’a pas fait dans les trente dernières années. Mais j’y crois. »
— Maryse Vermette

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