JuridiqueLes extrants des centres de tri de CRD 

Les extrants des centres de tri de CRD 

Par Me Thibaud Daoust

Les centres de tri de matériaux de construction, de rénovation et de démolition (CRD) sont maintenant bien établis dans l’écosystème de la gestion des matières résiduelles. Selon les plus récentes données de Recyc-Québec, un peu plus de 50 % des résidus de CRD du secteur du bâtiment transitent par ces centres de tri spécialisés 1. Par contre, malgré leurs efforts, ces derniers envoient toujours d’importantes proportions de ces matières à l’élimination 2. Également, les processus de tri, de criblage et de tamisage de ces centres de tri engendrent des résidus fins (également appelés les « fines » de CRD) qui contiennent généralement un mélange de matières (béton, gypse, bardeau, bois, etc.) ayant une granulométrie trop fine pour être recyclés adéquatement 3. Au cours des dix dernières années, ces rejets et résidus fins ont capté l’attention du gouvernement. Dans ce cadre, nous nous proposons de revenir sur deux modifications réglementaires récentes touchant précisément la question des résidus fins et des rejets des centres de tri de CRD.

Admissibilité pour l’enfouissement

Au début septembre 2022, le paragraphe 3.1 de l’article 10 du Règlement sur l’enfouissement et l’incinération de matières résiduelles4 est entré en vigueur. Cet article décrit certains types de matières résiduelles qu’un exploitant de lieu d’enfouissement technique est tenu de recevoir à ses installations. Le paragraphe 3.1 précise que les « rejets d’un centre de tri de matériaux de construction et de démolition » générés sur tout territoire doivent alors être reçus par un lieu d’enfouissement technique, sauf dans le cas où un autre lieu d’enfouissement technique se trouve plus près de ce centre de tri de CRD.   

L’utilisation de l’expression « rejets d’un centre de tri » de CRD laisse perplexe : elle n’est pas utilisée ailleurs dans la réglementation québécoise et ne semble pas tout à fait viser le même concept que les « résidus fins ». En effet, un « rejet », dans son sens commun, vise toute matière qui est écartée ou refusée au centre de tri parce qu’elle est non admissible ou qu’elle ne peut faire l’objet d’un traitement utile à ce centre. Les résidus fins sont plutôt le résultat des procédés de tri, de criblage et de tamisage effectués dans ces centres de tri. Ils constituent donc des matières résiduelles découlant de ces procédés, mais pas des matières que l’on refuse ou que l’on écarte bêtement.

À notre avis, il aurait été souhaitable qu’un langage plus précis soit adopté, comme celui de l’article 3 du Règlement sur les redevances exigibles pour l’élimination de matières résiduelles5. En effet, dans sa rédaction actuelle, le paragraphe 3.1 de l’article 10 du Règlement sur l’enfouissement et l’incinération de matières résiduelles laisse plutôt place à l’interprétation. Par exemple, l’expression « extrants » englobe plus clairement, à notre avis, les concepts de « rejets » et de résidus fins.

Redevances temporaires

Depuis le 23 janvier 2023, une disposition spécifique aux résidus fins est en vigueur au sein du Règlement sur les redevances exigibles pour l’élimination de matières résiduelles. Sommairement, ce règlement prévoit que des redevances doivent être payées par certains lieux d’élimination de matières résiduelles pour chaque tonne métrique de matière résiduelle reçue pour élimination. L’article 3 de ce règlement établit le coût de ces redevances.

Les résidus fins de CRD sont nommés ainsi, au deuxième paragraphe du deuxième alinéa de cet article : « résidus fins de construction, de rénovation ou de démolition issus du criblage ou du tamisage effectué par les centres de tri de matières résiduelles issues de travaux de construction ou de démolition ». Les résidus fins de CRD sont précisément abordés à cet article 3 afin de soustraire l’utilisation de ces fines au paiement de la redevance. Cela s’applique seulement si les fines sont utilisées à titre de recouvrement journalier dans un lieu d’enfouissement technique, de recouvrement mensuel dans un lieu d’enfouissement de débris de construction ou de démolition, ou pour la construction de chemins d’accès dans les zones de dépôt de matières résiduelles de ces deux types de lieux d’enfouissement.

En somme, l’élimination pure et simple des résidus fins de CRD dans ces lieux reste assujettie au paiement de la redevance. Toutefois, aucune redevance n’est due lorsque l’on valorise ces résidus à certaines fins qui leur sont spécifiques dans ces lieux d’élimination.

Il nous faut noter qu’il s’agit là d’une mesure temporaire. En effet, alors même qu’il introduisait ce paragraphe sur les résidus fins, le gouvernement annonçait que cet article cesserait d’avoir effet le 31 décembre 2025 6. Après cette date, et à moins d’une autre modification réglementaire, les résidus fins valorisés à titre de recouvrement ou pour la construction de chemin dans les lieux d’enfouissement seront assujettis à la même redevance que n’importe quelles autres matières résiduelles utilisées pour les mêmes fins.

Vraisemblablement, le gouvernement a décidé de créer cette soustraction temporaire de redevance afin d’encourager les exploitants de lieux d’enfouissement à utiliser massivement ces résidus fins et ainsi permettre aux centres de tri d’écouler les grandes quantités de ceux-ci, accumulés sur leur site pendant plusieurs années, faute de débouchés. À notre avis, il y a quand même, dans le caractère temporaire de cette soustraction, un message important envoyé aux exploitants de centres de tri de CRD de la part du gouvernement : d’autres débouchés de valorisation devront être identifiés rapidement puisque la valorisation des résidus fins dans les lieux d’enfouissement n’est pas l’avenue que l’on veut privilégier à long terme.

  1. RECYC-QUÉBEC (2023). Bilan 2021 de la gestion des matières résiduelles au Québec.
  2. Ibid.
  3. RECYC-QUÉBEC (2018). Fiche informative – Résidus de construction, de rénovation et de démolition.
  4. RLRQ, c. Q-2, r. 19.
  5. RLRQ, c. Q-2, r. 43.
  6. Décret 1458-2022, article 12.

Populaires

PFAS : revenir aux sources du problème

Saviez-vous que le Québec ne compte aucune usine produisant des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, et que la réglementation fédérale interdit depuis plusieurs années la...

Réduction à la source : l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC), un modèle à propager

Une nouvelle avenue pour l’innovation   Miser sur la vente de l’usage des produits plutôt que sur la vente des produits eux-mêmes, voilà une stratégie...

Choisir les bons mots pour plus d’impact : Retour sur une publication qui a (un peu) fait jaser

Le point de départL’idée de rédiger ce qui suit découle d’une simple publication que j’ai faite sur LinkedIn : une photo illustrant des bacs...
Publicitéspot_img