Les matières résiduelles qualifiées de résidus ultimes sont majoritairement envoyées vers les lieux d’enfouissement technique (LET) de la province. Même si bon nombre d’entre eux sont efficaces et gèrent de façon exemplaire les matières reçues, la durée de vie de certains de ces sites soulève des inquiétudes. Quel avenir doit-on réserver aux LET et comment peut-on diminuer le volume de déchets qu’on y envoie ? Afin de nourrir sa réflexion, le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, a confié au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) le mandat de tenir une enquête et une audience publique portant sur l’état des lieux et la gestion des résidus ultimes. Voici un tour d’horizon de ce qui pourrait – et devrait – changer notre rapport aux déchets.
C’est connu, le Québec produit une quantité astronomique de résidus de toutes sortes. Selon RECYC-QUÉBEC, la quantité de matières enfouies est à la hausse. Bon an mal an, chaque Québécois génère plus de 722 kg de rebuts. À cela s’ajoutent les résidus de construction, de rénovation et de démolition (CRD), ainsi que les déchets industriels, commerciaux et institutionnels (ICI). Sauf exception, ceux-ci sont systématiquement envoyés à l’enfouissement. D’ailleurs, il n’existe aucune donnée quant aux quantités de résidus de CRD et d’ICI qui sont envoyés dans les LET. La tâche du BAPE s’annonce donc ardue.
Les tarifs appliqués pour envoyer des déchets à l’enfouissement (de 75 $ à 100 $ la tonne – beaucoup trop bas, selon certains) exploseront-ils ? La population et les entreprises recevront-elles une facture dont le montant variera selon le poids de leurs ordures, à la manière du principe de l’utilisateur-payeur ? Fermera-t-on les plus petits LET pour ne garder que les plus importants ? Les recommandations du BAPE pourraient prendre différentes formes.
Le ministre Charette le reconnaît d’emblée : on ne peut continuer éternellement à alimenter les quelque 38 lieux d’enfouissement technique de la Belle Province de façon improvisée. « Il n’y avait pas de planification à long terme pour les lieux d’enfouissement technique, dit-il. Tout se faisait à la pièce. Les besoins de ces sites vont changer avec les réformes que nous avons annoncées et celles à venir. Le BAPE nous aidera à trancher ces questions-là. »
Les travaux du BAPE sur l’état des lieux et la gestion des résidus ultimes dureront dix mois (contre quatre en temps normal). Le rapport des commissaires est attendu pour la fin 2021. Ce qui distingue l’exercice actuel : la tenue d’ateliers d’échange et de réflexion, de même qu’une enquête citoyenne par sondage. Celle-ci se substituera à l’assemblée citoyenne initialement prévue, mais annulée à la suite de la démission d’une commissaire. Bien que tout se fasse de façon virtuelle, un nombre impressionnant de 300 mémoires ont été déposés devant le BAPE, selon Karine Lavoie, conseillère en communication de l’organisme.
Les plus vieux se souviendront qu’en 1995-1996, le BAPE s’était vu confier un mandat similaire sur la gestion des matières résiduelles. André Delisle, fondateur de Transfert Environnement et Société et ancien vice-président du BAPE, s’en souvient très bien.
« Il y a 25 ans, l’enfouissement des déchets était déjà un problème, explique-t-il. L’augmentation constante de l’enfouissement, les gens qui s’opposaient à la mise en place ou à l’agrandissement des sites, tout ça était d’actualité. Le BAPE de l’époque ne nous a malheureusement pas menés vers une baisse des matières enfouies, car il y a eu un manque de volonté politique et citoyenne. Ce mandat a toutefois amélioré les façons de gérer les sites d’enfouissement. »
Cette fois-ci, les recommandations du BAPE seront-elles écoutées et, surtout, mises en pratique ?
André Delisle demeure optimiste. « Grâce à la façon dont ils ont élaboré leur processus de consultation, dit-il, beaucoup de gens de différentes régions, de divers milieux et de classes sociales variées y participent. Les parties prenantes ne sont pas les seules impliquées. Ce BAPE-ci va rejoindre beaucoup de monde. Ça va aider pour la mise en place de solutions. »
Le ministre Charette partage évidemment cet avis. « Ça nous permettra de mieux planifier la durée de vie des sites, croit-il. Quelques-uns arrivent déjà à échéance. Pour ceux-là, le rapport va nous arriver trop tard, mais pour les autres, c’est une information qui devrait être déterminante et qui nous permettra de mieux trancher. »
De l’avis de Claude Maheux-Picard, directrice générale du Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTÉI), l’actuel BAPE est « plus que jamais pertinent » et « aurait dû être tenu plus tôt ».
« Les constats sont faits. Les gouvernements savent où sont les problèmes. On a laissé le système se réguler par lui-même, ça n’a pas fonctionné, et il n’y a rien qui se passe, soutient-elle. J’espère qu’on n’ira pas se mettre un objectif du genre “2050”. C’est beau de consulter, mais il faut maintenant passer à l’action. Le statu quo n’est plus de mise. »
André Bellavance, maire de Victoriaville et président de la Commission de l’environnement de l’UMQ, fait partie de ceux qui ont déposé un mémoire. La liste de demandes de l’UMQ est longue et traduit une volonté d’agir, dit-il.
En gros, les municipalités québécoises demandent une réduction à la source, entre autres, sur les contenants et les emballages à usage unique. Cela fait partie du projet de loi 65 qui entrera bientôt en vigueur, mettant de l’avant la consigne élargie et imposant de nouvelles obligations aux entreprises qui produisent des emballages et des contenants, notamment. L’UMQ souhaite aussi avoir accès aux données (inexistantes pour le moment, faut-il le rappeler) sur les résidus issus des secteurs de la CRD et des ICI.
« Nous souhaitons également que le BAPE évite les généralités et qu’il tienne compte des spécificités de chaque région, fait valoir M. Bellavance. Et nous aimerions que le gouvernement mette en place des programmes d’accompagnement technique. À notre avis, le partage d’informations est très important et permet d’adopter les meilleures technologies et les meilleures pratiques si l’on veut réduire la quantité de résidus envoyés à l’enfouissement. »
Richard Mimeau, directeur général du Conseil des entreprises en technologies environ-nementales du Québec (CETEQ), souhaite que l’organisme qu’il dirige soit davantage consulté. Le CETEQ compte parmi ses quelque 182 membres les cinq plus importants LET de la province. Des municipalités possèdent et gèrent les 33 autres.
« On nous gère à la pièce et pour obtenir un certificat d’autorisation, il y a un décret de deux ans. Ça devient difficile pour une entreprise privée d’investir, lance M. Mimeau. Les entreprises que nous représentons ont beaucoup de solutions à proposer pour réduire l’enfouissement », poursuit-il, tout en ajoutant que ses membres ne génèrent pas eux-mêmes cette matière.
Dans son mémoire déposé récemment devant le BAPE, le CETEQ indique notamment que « [l]’amélioration de la gestion des résidus ultimes repose d’abord et avant tout sur une diminution importante des quantités de matières résiduelles générées. La nécessité de travailler en amont de l’élimination n’a jamais été aussi prioritaire. »
L’état des lieux et la gestion des résidus ultimes : acceptabilité sociale et participation citoyenne
L’enquête et l’audience publique du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) portant sur l’état des lieux et la gestion des résidus ultimes favoriseront-elles l’acceptabilité sociale ou plutôt le mécontentement ? Autrement dit, les moyens envisagés pour réduire les quantités de matières résiduelles enfouies feront-ils l’unanimité ?
Les LET ont grandement évolué au fil des ans. De simples dépotoirs, nombre d’entre eux sont aujourd’hui devenus des sites hautement performants où les biogaz sont transformés en énergie renouvelable et où les eaux de lixiviation sont traitées et retournées dans la nature sous forme d’eau claire et limpide.
Les plus grands LET du Québec, lesquels sont détenus et exploités par des entreprises privées, sont d’ailleurs à juste titre appelés des « complexes environnementaux ». Or, malgré la formation de comités de suivi composés de citoyens et d’une plus grande transparence, le rôle et la mission de ces sites demeurent mal compris.
« Ce qui se retrouvera dans les lieux d’enfouissement, ce devra vraiment être des résidus ultimes qu’on n’aura pas pu revaloriser par manque de débouchés. Cela nous laisse donc un potentiel formidable », croit Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.
« Peu importe le type de sondage ou d’étude de marché que l’on peut faire, on constate qu’en matière de protection de l’environnement, les gens veulent des gestes concrets, ajoute-t-il. Les grands discours rejoignenent moins les gens. Mais ceux-ci veulent se convaincre que leurs gestes font la différence. L’appui à l’élargissement de la consigne, entre autres, est très fort dans la population. Le projet de loi 65 [qui concerne justement ce sujet] a été adopté à l’unanimité par l’ensemble des formations politiques à l’Assemblée nationale. La population est rendue là. »
Selon André Delisle, l’avenir des LET et les façons de réduire l’enfouissement des déchets ne feront jamais l’unanimité.
« Le bruit des camions, les odeurs, les déchets en provenance d’autres villes : des enjeux autour des lieux d’enfouissement, il y en aura toujours, soutient-il. Au fond, ce n’est pas la faute des LET si on enfouit autant de déchets qu’avant. Si des solutions sont proposées, les citoyens seront prêts à embarquer, à aller de l’avant. Ça ne m’inquiète pas. »
Claude Maheux-Picard, directrice générale du CTTéI, est consciente que les déchets ultimes, ceux qu’on n’aura pas pu revaloriser ou recycler, sont là pour encore plusieurs années. « Consommer demeure un loisir pour bien des gens », se désole-t-elle.
Les initiatives mises de l’avant par le MELCC, notamment la modernisation de la collecte sélective et l’élargissement de la consigne par le truchement de l’adoption du projet de loi 65, sont certes intéressantes, concède Mme Maheux-Picard. Mais fonctionneront-elles ?
L’élargissement de la consigne fait sourciller en coulisses certains intervenants du milieu, qui doutent de l’efficacité de cette mesure, notamment en raison de l’imposante logistique requise, mais surtout du grand défi que représente la participation citoyenne.
« La consigne va demander un effort de plus, dit Mme Maheux-Picard. Alors je peux bien comprendre que le citoyen moyen, qui veut faire sa part et qui est modérément conscientisé au sujet de l’environnement, va trouver cela franchement ennuyeux. C’est ça, l’enjeu : comment simplifier les choses pour le mieux ? Qu’attendons-nous pour rapetisser les bacs à poubelles ? Rendons-les plus petits et faisons la collecte une fois par mois. Les comportements vont changer. »
Richard Mimeau, directeur général du CETEQ, ne souhaite qu’une chose : que la population comprenne enfin le rôle que jouent les lieux d’enfouissement technique.
« Notre inquiétude, c’est que les gens souhaitent la fermeture des LET. Malgré toutes les initiatives mises en œuvre depuis 15 ans, chaque Québécois produit encore plus de déchets qu’avant. Les LET ne produisent pas les déchets, ils gèrent ce qu’on leur apporte de façon sécuritaire. J’espère que l’actuel BAPE va mieux aider la population à comprendre ce qui se passe dans les LET et le rôle important que ceux-ci jouent. »
« Il n’y avait pas de planification à long terme pour les lieux d’enfouissement technique. Tout se faisait à la pièce. Les besoins de ces sites vont changer avec les réformes que nous avons annoncées et celles à venir. Le BAPE nous aidera à trancher ces questions-là. »
— Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec
Une terminologie évolutive
En 1995-1996, le BAPE avait été mandaté pour mener des audiences publiques sur la gestion des matières résiduelles. Vingt-cinq ans plus tard, on demande cette fois-ci à l’organisme d’enquêter sur les résidus ultimes. De dépotoirs à lieux d’enfouissement technique, en passant par ordures ménagères, matériaux secs, déchets solides et matières organiques, les termes utilisés pour désigner nos poubelles ne cessent d’évoluer. Lexique et explications.
Déchets :
Selon Claude Trudel, coordonnateur à la division de la valorisation et de l’élimination au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, l’origine des dispositions en santé publique et en environnement remonte à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. « C’est en 1944-1945 qu’on a commencé à s’intéresser aux notions de déchets et de vidanges, avec l’objectif de contrer les problèmes d’hygiène publique », explique-t-il. À l’époque, l’élimination des déchets relevait de ce qui est aujourd’hui le ministère de la Santé. Toutefois, en 1972, les choses ont changé avec l’entrée en vigueur de la Loi sur la qualité de l’environnement.
Matières résiduelles :
En 2000, en marge d’importantes modifications apportées à la Loi sur la qualité de l’environnement, la notion de déchets a été remplacée par celle de matières résiduelles, relate M. Trudel. « Nous trouvions que c’était un terme plus intéressant, un peu moins péjoratif que déchets, dit-il. Ce terme regroupe un paquet de choses : les matières dangereuses, les ordures ménagères, les résidus miniers, etc. C’est une définition très générale. En 2000, deux autres termes – c’est-à-dire deux modes de gestion des matières résiduelles, qui sont encore utilisés aujourd’hui – ont été ajoutés : les notions de valorisation (le recyclage, le réemploi, etc.) et d’élimination des matières résiduelles, c’est-à-dire tout ce qui ne peut pas être revalorisé. »
Lieux d’enfouissement sanitaire :
C’est vers 1978, lors de l’entrée en vigueur du Règlement sur les déchets solides, qu’est apparu le terme lieu d’enfouissement sanitaire, explique Claude Trudel. « Le règlement prévoyait une séquence pour fermer les dépotoirs au profit d’autres lieux d’enfouissement plus modernes, notamment les lieux d’enfouissement sanitaire. Pour les petites munici-palités, il existait alors des dépôts en tranchée, mais aussi des dépôts en milieu nordique. C’est aussi à cette époque qu’on a introduit la notion de matériaux secs, une catégorie de déchets solides qui est ce qu’on appelle aujourd’hui les débris de construction, de rénovation et de démolition (CRD). »
Lieux d’enfouissement technique :
Le terme lieux d’enfouissement technique a fait son entrée dans le vocabulaire en 2006, lors de l’entrée en vigueur du Règlement sur l’enfouissement et l’incinération de matières résiduelles. Dans la foulée, les lieux d’enfouissement sanitaire sont devenus des lieux d’enfouissement technique ; les dépôts en tranchée sont devenus des lieux d’enfouissement en tranchée ; les dépôts en milieu nordique sont devenus des lieux d’enfouissement en milieu nordique ; les fosses à déchets de pourvoiries et de campements industriels sont devenues des lieux d’enfouissement en territoire isolé. Et les dépôts de matériaux secs sont devenus des lieux d’enfouissement de débris de construction, de rénovation et de démolition. « C’était, rappelle Claude Trudel, pour nous aider à mieux distinguer les différents lieux, car ce ne sont pas les mêmes règles qui s’appliquent à chacun des résidus. Pour faciliter l’application de nos dispositions, nous avons adapté la terminologie en conséquence. »
Matières organiques :
« Ce terme ne fait pas l’objet d’une définition précise dans aucun texte, sinon dans certaines stratégies où l’on dit ce qu’on veut viser », soutient Claude Trudel.
« C’est une définition qui demeure générale. On va s’en tenir à une définition de dictionnaire, c’est-à-dire : toute matière qui contient des composantes organiques. » Dans la Stratégie de valorisation de la matière organique, il est inscrit que les matières organiques englobent à la fois les résidus alimentaires, les boues des eaux usées municipales, le papier, le carton, etc.
Résidus ultimes :
Le terme résidus ultimes daterait d’environ 2011. Il s’inscrit dans la Politique de gestion des matières résiduelles, qui vise à éliminer le plus de résidus envoyés à l’enfouissement. « Ce sont des résidus qui auront fait l’objet du maximum de tri, de récupération et de revalorisation sous toutes ses formes et qu’on pourra éliminer. C’est un peu ce que la définition dit : c’est en fonction des techniques disponibles et existantes sur le territoire québécois. Aujourd’hui, nous n’avons pas toutes les technologies de valorisation que nous aurons dans vingt ans. La composition des résidus ultimes sera variable dans le temps », note M. Trudel.