JuridiqueMatières résiduelles : près de 30 ans plus tard, le même discours ?

Matières résiduelles : près de 30 ans plus tard, le même discours ?

Par Me Robert Daigneault, Daigneault, avocats

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement a publié en janvier 2022 son rapport d’enquête intitulé L’état des lieux et la gestion des résidus ultimes 1. Sans surprise, non seulement le BAPE constate que le Québec n’a pas atteint ses cibles courantes de réduction de la production de matières résiduelles, mais il note que la situation a même régressé.

Ses conclusions sont claires. Il considère improbable l’atteinte, pour 2023, des cibles fixées dans le Plan d’action 2019-2024 2 de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles. Ce qui ressort également du rapport du BAPE et qui étonne, c’est l’absence de données permettant d’évaluer la portée des diverses mesures mises en place : « l’information relative aux matières résiduelles est aujourd’hui parcellaire et complexe à obtenir 3 ». Bien entendu, cela complique le choix des moyens à privilégier.

Pour renverser la vapeur, la commission d’enquête formule une série de recommandations exprimées sous forme d’orientations. On peut relever notamment celles de prioriser l’économie circulaire, de revoir nos modes de consommation, de recourir à l’écofiscalité, de préconiser l’accessibilité aux données et de favoriser l’innovation. Des thèmes déjà connus, en fait.

Quant au renforcement de l’encadrement législatif et réglementaire, s’il est au Québec un domaine qui a connu une importante évolution sur ce plan, c’est bien celui de la gestion des matières résiduelles. À cet égard, la décennie 1990 a d’ailleurs marqué un tournant. L’ennui, c’est qu’on a visé au départ la mauvaise cible, quoique dans de bonnes intentions. Le syndrome « pas dans ma cour » a stigmatisé les lieux d’élimination.

Les entreprises environnementales (pourtant vectrices de solutions, si imparfaites fussent-elles) n’avaient pas la cote, au point où elles ont dû se regrouper pour avoir une voix. C’est ainsi qu’est née au cours de cette décennie l’Association des entrepreneurs en services environnementaux du Québec, à laquelle s’est ensuite substitué le Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec. Il importait de redorer auprès du public l’image de ces entreprises pourtant essentielles.

Le mauvais bout de la lorgnette

Aujourd’hui, avec le recul, force est de constater que d’autres mesures auraient été nécessaires en parallèle. Les mesures législatives les plus importantes de la décennie 1990 se sont en effet essentiellement orientées vers les lieux d’élimination de matières résiduelles, avec l’adoption de deux lois venant sévèrement les encadrer : la Loi sur l’établissement et l’agrandissement de certains lieux d’élimination de déchets 4 et la Loi portant interdiction d’établir ou d’agrandir certains lieux d’élimination de déchets 5. Cette dernière décrétait un moratoire sur l’établissement ou l’agrandissement des lieux d’enfouissement jusqu’à ce que la réglementation les régissant soit modifiée. Il aura fallu plus de dix ans. On cherchait à rendre plus coûteuse l’élimination, espérant qu’ainsi les matières résiduelles soient redirigées vers le recyclage. Mais c’était comme tenter de fermer une arrivée d’eau en fermant le robinet de sortie !

Puis, en 1998, le gouvernement du Québec adoptait une première politique québécoise de gestion des matières résiduelles et, en 2000, entrait en vigueur la Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement et d’autres mesures concernant la gestion des matières résiduelles, le projet de loi 90 6. C’est par cette loi que le concept de « déchets » a été remplacé par celui de « matières résiduelles » et qu’a été instauré le mécanisme de planification régionale de la gestion des matières résiduelles. On y a également introduit les notions d’« élimination » et de « valorisation ».

Le Règlement sur l’enfouissement et l’incinération des matières résiduelles 7, qui devait mettre fin au moratoire, a été adopté en 2006. La même année, le régime de redevances à l’enfouissement était mis en œuvre, alors que peu avant, en 2004, entrait en vigueur la réglementation relative à la compensation pour les services municipaux de récupération et de valorisation.

La timide intervention en amont

Il faudra attendre 2011 pour que l’on voie poindre le début d’une réglementation sur la responsabilité élargie des producteurs, si ce n’est qu’auparavant, deux règlements, l’un sur les peintures et l’autre sur les huiles usées, avaient été adoptés. Comme le note le BAPE dans son rapport 8, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) s’est d’abord concentré sur les matières résiduelles dont des composants pouvaient être dangereux.

Avec l’entrée en vigueur du Règlement sur l’encadrement des activités en fonction de leur impact sur l’environnement  9 et du Règlement sur la valorisation des matières résiduelles 10, c’est un autre pan de la hiérarchie des 3RVE qui se voit désormais encadré : la valorisation. Cette réglementation, toutefois, met en évidence la difficulté de composer avec la notion même de « matière résiduelle ». Ainsi, dans le Guide sur le recyclage des matières résiduelles fertilisantes de 2015 du MELCC, bien qu’on précise que les composts sont des produits fabriqués, on prend soin de rappeler qu’ils demeurent légalement des matières résiduelles. C’est un non-sens qui, à notre avis, fait obstacle au recours à ces matières.

Avec la nouvelle enquête du BAPE, il semble bien que l’on ait pris davantage conscience des interventions en amont, plutôt qu’en aval comme cela s’était fait jusqu’ici. Une évidence, dirait-on ? Sans doute, mais qui se bute à un obstacle important, le comportement du consommateur, certes plus difficile à encadrer que l’exploitation d’un lieu d’élimination ou d’un centre de tri. Mais à cet égard, le BAPE est clair :

Afin de se donner les moyens de ses ambitions, le Québec ne peut plus dépendre principalement de mesures volontaires pour atteindre ses objectifs 11.

Sans viser directement le consommateur, ce qui est envisagé, ce sont des mesures coercitives telles que l’interdiction de mise en marché et le bannissement de l’élimination. Le BAPE insiste sur l’importance d’agir rapidement en ce sens.

Conclusion

Le BAPE pose un diagnostic franc et direct qui, espérons-le, alignera le gouvernement sur des axes davantage porteurs. Après trente ans d’un discours réformateur qui n’a pas permis, malgré de bonnes intentions et bien des efforts, d’infléchir la courbe de production de déchets ultimes au Québec, l’intervention en amont s’impose.

 

  1. Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, rapport no 364.
  2. RECYC-QUÉBEC. (2019). Récupérer plus, recycler mieux – Plan d’action 2019-2024.
  3. En page 612.
  4. RLRQ, c. E-13.1, aujourd’hui abrogée.
  5. RLRQ, c. I-14.1, également abrogée.
  6. Q. 1999, c. 75.
  7. RLRQ, c. Q-2, r. 19.
  8. En page 343.
  9. RLRQ, c. Q-2, r. 17.1.
  10. RLRQ, c. Q-2, r. 49.
  11. À la page 615.

Populaires

PFAS : revenir aux sources du problème

Saviez-vous que le Québec ne compte aucune usine produisant des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, et que la réglementation fédérale interdit depuis plusieurs années la...

Réduction à la source : l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC), un modèle à propager

Une nouvelle avenue pour l’innovation   Miser sur la vente de l’usage des produits plutôt que sur la vente des produits eux-mêmes, voilà une stratégie...

Choisir les bons mots pour plus d’impact : Retour sur une publication qui a (un peu) fait jaser

Le point de départL’idée de rédiger ce qui suit découle d’une simple publication que j’ai faite sur LinkedIn : une photo illustrant des bacs...
Publicitéspot_img