Alors que la vénérable institution québécoise qu’est Réseau Environnement fête ses 60 ans d’existence et qu’un autre organisme non moins respectable, EnviroCompétences, souffle ses 25 chandelles, d’immenses défis se dressent sur le chemin du secteur de l’environnement au Québec — des obstacles teintés par la transition verte…
Car il y a un éléphant dans la pièce, et il se nomme pénurie de main-d’œuvre.
À la mi-mars, le gouvernement du Québec déposait son Plan pour une économie verte 2030 en vue de jeter les bases d’une économie plus sobre en carbone. Toutefois, si l’on porte un regard lucide sur la situation de l’emploi au Québec, force est d’admettre que la main-d’œuvre demeurera un grand défi dans la réalisation de cette nécessaire transition verte.
Alors que, pendant des décennies, l’obsession de nos gouvernements était de créer des emplois pour les jeunes sur le marché du travail et de diminuer le chômage, aujourd’hui, nous assistons à un changement de paradigme : il faut maintenant mettre de côté la création d’emplois et plutôt investir dans la formation et le développement des compétences chez de futurs travailleurs afin de satisfaire les besoins en main-d’œuvre, lesquels sont de plus en plus grands.
Du reste, on observe aujourd’hui que les emplois vacants sont non seulement nombreux, mais en forte hausse.
Les enjeux sont de taille et tout à fait inédits. Pour le nouveau PDG de Réseau Environnement, Mathieu Laneuville, la transition verte ne peut faire abstraction du bien-être humain, et ce difficile équilibre entre l’économie et l’environnement doit d’abord en tenir compte. Quant à la directrice générale d’EnviroCompétences, Dominique Dodier, elle juge que son mandat d’améliorer le marché du travail en environnement ne peut être réalisé que si l’humain demeure au cœur de toutes ses préoccupations.
Des tendances dont on doit tenir compte
On a identifié des causes à la pénurie de main-d’œuvre : le vieillissement de la population, le virage numérique, des facteurs liés à la pandémie (qui, en théorie, devraient se résorber). À ces éléments, il faut ajouter la transition verte, puisque de nouveaux emplois « verdissants » apparaîtront de plus en plus au détriment d’emplois « vieillissants », ce qui créera ainsi des postes nouveaux à combler.
D’ailleurs, trois tendances mondiales, qui relèvent tout autant de la psychologie que de la sociologie, démontrent à quel point la jeune génération n’envisage peut-être pas sa vie comme celles qui l’ont précédée.
Prenons par exemple le mouvement FIRE (acronyme anglais pour Financial Independence, Retire Early ou, en français, « indépendance financière, retraite précoce »), lequel a de plus en plus de jeunes adeptes dans le monde. Celui-ci préconise de travailler dur, de vivre modestement et d’économiser afin de prendre une retraite très tôt, à 40 ans, voire à 30 ans, pour être libre et jouir d’une indépendance financière.
Ou encore ces deux autres tendances, plus étonnantes celles-là, qui démontrent que les jeunes d’aujourd’hui ne pensent pas avec les mêmes schémas sociaux que leurs parents. Un article de France Soir (21 janvier 2022) évoque une tendance à la hausse chez les jeunes nommée « la grande démission », qui amène des salariés, pourtant bien rémunérés, à quitter leur emploi en raison de facteurs reliés au bien-être. Ainsi, en France, de juillet 2019 à juillet 2021, le marché de l’emploi a enregistré plus de 20 % de démissions (Novethic Media).
Toutefois, la tendance la plus révélatrice de notre époque est le « détravail ». Ses adeptes souhaitent « ne travailler strictement que le temps nécessaire, dans une logique de décroissance économique et de préoccupations environnementales, pour pouvoir profiter de la vie et du temps libre le plus tôt possible » (extrait de l’article de France Soir du 21 janvier 2022).
Avec la pandémie, les changements climatiques et la guerre en Ukraine, on cherche apparemment à trouver du sens à son travail. Cette quête s’exprime aussi pour certains par le refus de travailler dans des entreprises polluantes ou émettrices de GES, bref, des organisations qui ne prennent pas en compte les enjeux environnementaux.
Ces tendances émergentes expriment un mouvement de fond, un nouveau rapport au travail qui a sans doute été exacerbé par la pandémie, et qui s’amplifie et débouche aujourd’hui sur une crise de la main-d’œuvre.
Comme quoi peu importe les belles théories et les solutions sophistiquées que l’on utilisera pour contrer la pénurie de main-d’œuvre, il ne faut jamais perdre de vue le facteur humain, car le marché de l’emploi est composé de travailleurs et de travailleuses. Ici, les raisonnements de nature comptable n’ont pas leur place, d’autant plus que l’humain, en 2022, prend ses distances avec les générations précédentes, peu importe les transitions souhaitées.
En terminant, je veux remercier Sylvain, ainsi que Guy, Émilie, Danylo, Alex et Sylviane, laquelle s’est démenée pour dénicher du papier… Vous vous rendez compte ? Trouver un imprimeur qui a du papier, de la main-d’œuvre et du temps de presse, en pleine pandémie ! Les initiés et les perspicaces comprendront que le coût de cette publication aurait pu tripler…
Merci, mes amis. Grâce à vous, la confection de ce magazine demeure une fête !