L’histoire de l’amiante au Québec est connue : une industrie florissante au XXe siècle, un déclin dans les années 1980, puis une fermeture définitive en 2012. On aurait pu croire le dossier clos. Pourtant, la fin de l’extraction a ouvert un second chapitre, marqué par des incohérences réglementaires et un ministère qui a tardé à se positionner sur la gestion des sols contaminés.
Rapport du BAPE : des ambitions vite retombées
En juillet 2020, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) publiait son rapport sur la gestion de l’amiante et des résidus miniers amiantés. Cette démarche ambitieuse et attendue a été saluée à juste titre. Mais le rapport concentrait surtout son attention sur les régions amiantifères, comme Val-des-Sources et Thetford Mines, négligeant l’utilisation généralisée de matériaux contenant de l’amiante à travers la province. Résultat : une vision partielle d’un problème beaucoup plus vaste, notamment pour les sols.
Le rapport a tout de même mené, en 2022, à l’adoption d’un plan d’action intitulé Amiante et résidus miniers amiantés au Québec : vers la transformation d’un passif en actif durable. Le document promettait une acquisition de connaissances et des actions structurantes. Trois ans plus tard, force est de constater que les résultats concrets se font toujours attendre.
Des guides ministériels qui accentuent la confusion
Pendant que le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) tarde pour « acquérir des connaissances », les règles, elles, changent. Le Guide de caractérisation des terrains, mis à jour en 2024, stipule que la présence d’amiante n’est pas limitée aux anciennes régions minières, mais peut se retrouver partout sur le territoire. Surtout, il précise qu’un sol sera considéré comme contaminé dès la détection d’une seule fibre.
Cette approche contraste avec celle du Guide d’intervention – Protection des sols et réhabilitation des terrains contaminés, qui fixe le seuil de risque à 0,1 % d’amiante. En d’autres mots, la présence d’une fibre suffit pour imposer des contraintes lourdes aux entreprises, alors qu’un seuil plus élevé est jugé acceptable pour protéger la santé des travailleurs. Comment justifier une telle contradiction ? Et surtout, quelle valeur ajoutée environnementale apporte un seuil plus sévère que celui destiné à protéger directement la santé humaine ? D’ailleurs, rappelons que l’excavation des sols se fait à l’air libre, avec de la machinerie lourde, et n’expose pas les travailleurs aux mêmes risques qu’un chantier de déconstruction intérieure.
Ces contradictions ne sont pas seulement théoriques, puisqu’elles se traduisent par des conséquences très concrètes sur le terrain.
Des conséquences réelles sur la gestion des sols
En pratique, la détection d’amiante conduit, dans la grande majorité des cas, à l’élimination des sols dans des lieux d’enfouissement technique (LET) ou dans des lieux d’enfouissement de sols contaminés (LESC). Les options de valorisation sont quasi inexistantes, et celles qui existent sont concentrées dans les régions amiantifères, ce qui implique d’importants trajets en camion, selon l’endroit où l’amiante est détecté.
Cette situation est préoccupante. Le Québec transporte des volumes considérables de sols vers des sites d’enfouissement dont la capacité est limitée, ce qui compromet directement nos objectifs de réduction à la source et de circularité de l’économie. Plus on multiplie les sols éliminés, faute de solutions, plus on s’éloigne des ambitions de transition écologique mises de l’avant par le gouvernement.
Des méthodes inadaptées
À cette confusion réglementaire s’ajoute une faille technique tout aussi problématique. La méthode de détection actuellement reconnue, IRSST 244, a été conçue pour analyser des matériaux de construction. Or, les sols sont des matrices hétérogènes, et cette méthode n’est tout simplement pas adaptée. Cela alimente la confusion réglementaire et met en doute la représentativité des résultats, surtout dans un contexte où la norme officielle se résume à « une fibre, et tout est contaminé ». Et ce problème est exacerbé par un vide réglementaire : aucune exigence claire, aucun cahier d’échantillonnage spécifique à l’encadrement des vérifications environnementales.
Résultat : une distorsion sur le marché. Certains promoteurs appliquent des protocoles stricts, absorbant des coûts et des délais supplémentaires. D’autres choisissent de ne pas tester, profitant du flou ambiant. On obtient alors une gestion inégale des risques pour l’environnement et la santé, mais aussi une concurrence déloyale entre entreprises.
Ce qu’il nous faut : un leadership clair
La première étape est évidente. Il faut en priorité élaborer une méthode d’échantillonnage et d’analyse adaptée aux sols, en collaboration avec toutes les parties prenantes. C’est sur cette base que pourront ensuite être établies des règles cohérentes, applicables et équitables pour tous.
Le secteur privé, qui travaille quotidiennement sur le terrain, est prêt à contribuer à ce travail. Les entreprises ont besoin de balises claires et de règles stables pour planifier leurs projets et investir dans des solutions de valorisation.
De l’espoir à l’horizon?
La première étape est évidente. Il faut en priorité élaborer une méthode d’échantillonnage et d’analyse adaptée aux sols, en collaboration avec toutes les parties prenantes. C’est sur cette base que pourront ensuite être établies des règles cohérentes, applicables et équitables pour tous. Le secteur privé, qui travaille quotidiennement sur le terrain, est prêt à contribuer à ce travail. Les entreprises ont besoin de balises claires et de règles stables pour planifier leurs projets et investir dans des solutions de valorisation.
