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Le passeport numérique de produits et les nouvelles normes ISO 59000 : catalyseurs de transition ?

Par Daniel Normandin

En ce mois de l’économie circulaire, deux initiatives méritent, selon moi, notre attention. Elles pourraient bien accélérer la transition vers une économie circulaire, du moins du côté européen, et à une moindre échelle ici, au Canada.

La première initiative, le passeport numérique de produits, ou Digital Product Passeport (DPP), est un projet phare du Plan d’action pour l’économie circulaire de l’Union européenne (UE). Ce plan d’action est lui-même une constituante du Pacte vert pour l’Europe, une feuille de route ambitieuse lancée par l’UE en 2019 pour rendre son économie propre, circulaire et à faible intensité de carbone.

L’objectif du DPP est de promouvoir la durabilité des produits et de renforcer la transparence tout au long de leur cycle de vie. D’un côté, il permettra d’améliorer la traçabilité des produits, de faciliter leur réparation et leur recyclage ainsi que de combattre la contrefaçon. Le passeport contribuera également à la transparence environnementale en rendant accessibles les informations sur les émissions de CO2 ou sur la consommation de ressources. Cette initiative est considérée par certains comme le plus important levier dans la transition vers une économie circulaire depuis les balbutiements des années 2010.

Qu’est-ce que le DPP ? 

Le DPP est une fiche  produit numérique et dynamique qui fournira des informations sur l’origine, la composition ainsi que les options de réparation et de démontage d’un produit. Il indiquera aussi la manière dont les différents composants pourront être recyclés ou valorisés en fin de cycle. À terme, sur le territoire de l’UE, tous les produits y seront assujettis, sauf les produits alimentaires pour les humains, les aliments pour animaux et les produits médicaux. Le passeport reposera sur une base de données accessible numériquement. Ces informations seront disponibles via des codes QR ou d’autres technologies numériques à déterminer, et lisibles sur les produits eux-mêmes. Les données seront également partageables à divers acteurs : fabricants, importateurs, distributeurs, réparateurs, recycleurs, consommateurs, autorités publiques, etc. Chaque acteur pourra mettre à jour ou consulter des données spécifiques à ses besoins. Évidemment, les informations à inclure dans le passeport varieront selon les types de produits (électroniques, textiles, composants de bâtiment, etc.). L’UE travaille en ce moment à la définition de normes sectorielles pour assurer une mise en œuvre cohérente. Les premiers passeports devraient être sur le marché en 2027.

Pourquoi le DPP ? 

Avec le passeport numérique, l’UE cherche à remédier aux limites actuelles du marché en matière d’information (parfois fausse) sur les produits. Le passeport vise à fournir un accès simplifié et standardisé à des informations essentielles, telles que la composition des produits, leur origine, leur réparabilité et leur performance environnementale. Cela permettra aux consommateurs, aux entreprises et aux autorités publiques de prendre des décisions mieux éclairées, tout en favorisant des choix plus durables et circulaires. Le DPP s’inscrit dans un cadre réglementaire européen plus large, notamment dans le contexte de la proposition de règlement sur l’écoconception des produits durables. Celui-ci vise à améliorer la conception des produits pour qu’ils soient plus faciles à recycler, à réparer, à réutiliser et à remanufacturer. Quoique le DPP soit une initiative exclusivement européenne, les entreprises canadiennes (et leurs fournisseurs) qui exportent en Europe devront également munir leurs produits du DPP, mis à part celles qui travaillent dans les secteurs non visés par celui-ci. Les premiers produits à être assujettis, en 2027, seraient les piles. Une trentaine de catégories de produits suivront selon un calendrier à préciser.

Le passeport numérique de produits représente une avancée importante pour l’économie circulaire en Europe, qui est encore une fois largement en avance sur l’Amérique du Nord sur ce plan. Bien que des obstacles subsistent toujours, selon des discussions que j’ai pu avoir avec des représentants d’organisations européennes impliquées, le potentiel des DPP pour transformer les chaînes de valeur et promouvoir une consommation durable et circulaire en fait une pièce maîtresse dans la stratégie européenne de durabilité.

Les normes ISO 59000

La seconde initiative qui me semble importante est la publication, en mai 2024, des premières normes de la nouvelle famille de normes 59000 par ISO (Organisation internationale de normalisation). Attendues depuis un bon moment – les travaux ont débuté en 2019 –, ces normes sont le fruit du travail de représentants issus de 102 pays et de 19 organisations internationales. Elles constituent un cadre pour la compréhension commune de l’économie circulaire et de son fonctionnement. Les trois premières normes, qui ont été publiées en mai 2024, sont les suivantes :

ISO 59004:2024 Économie circulaire — Vocabulaire, principes et recommandations pour la mise en œuvre

ISO 59010:2024 Économie circulaire — Recommandations relatives à la transition des modèles d’affaires et des réseaux de valeur

ISO 59020:2024 Économie circulaire — Mesure et évaluation de la performance de circularité

Une contribution importante de ces nouvelles normes aura été de faire un peu de ménage dans la centaine de définitions de l’économie circulaire que l’on retrouve sur la toile. Celle qui a fait consensus lors des travaux d’ISO est la suivante :

« Système économique qui utilise une approche systémique pour maintenir un flux circulaire des ressources, en recouvrant, conservant ou augmentant leur valeur, tout en contribuant au développement durable. »

Reste à savoir si cette définition remplacera éventuellement celle élaborée par le Pôle québécois de concertation sur l’économie circulaire et qui est utilisée par le gouvernement du Québec, mais aussi par la majorité des acteurs québécois qui s’y intéressent.

Deux autres normes devraient être publiées d’ici la fin 2024, soit :

ISO 59014 Management et économie circulaire — Durabilité et traçabilité de la valorisation des matières secondaires – Principes, exigences et recommandations

ISO 59040 Économie circulaire – Fiche de données de circularité des produits

Cette dernière norme est présentement élaborée en prenant en compte les requis du DPP de manière à éviter les incohérences entre les deux systèmes d’information.  

À quoi serviront-elles ?

Les normes de la famille ISO 59000 ne sont pas certifiantes pour le moment, mais elles serviront certainement de cadre pour permettre à des consultants experts en économie circulaire d’accompagner les organisations et les gouvernements régionaux dans leur transition. Un des défis actuels majeurs demeure toutefois la génération de données et leur accès. Sans ces données, il sera toujours difficile de suivre, de manière dynamique et relativement précise, la progression de la circularité sur les territoires, dans les chaînes de valeur et dans les organisations.

On peut cependant espérer que l’initiative européenne sur le DPP et les nouvelles normes ISO agiront comme catalyseurs pour stimuler la génération de ces données ici au Québec, comme dans le reste du Canada et de l’Amérique du Nord. Si l’on souhaite que le mois de l’économie circulaire se transforme en siècle de l’économie circulaire, cela nécessite des initiatives systémiques. Selon moi, le DPP et les normes ISO ont le potentiel de faire partie de celles-là. Et si le Québec devenait le premier territoire nord-américain à exiger des DPP ? On jase…

World Business Council for Sustainable Development (2023). The EU Digital Product Passport.

CIRPASS (2024). Digital Product Passport.

Organisation internationale de normalisation (2024). Économie circulaire.

https://www.iso.org/fr/secteurs/environnement/economie-circulaire

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