Depuis plus de 20 ans, le domaine du recyclage des matières résiduelles fertilisantes (MRF) au Québec est encadré par des outils administratifs, incluant des guides, des lignes directrices et des règlements. Ces réglementations ont permis d’assurer une gestion environnementale rigoureuse de ces matières, avec des exigences qui couvrent la totalité de la filière. Le Code de gestion des matières résiduelles fertilisantes, qui entrera en vigueur en 2025, met à jour et renforce les modalités de gestion existantes en reconnaissant de nouveaux types de matières et en introduisant des catégorisations plus précises.
Il est essentiel de rappeler que ce nouveau code, qui constitue une réelle avancée, n’est pas une réaction à l’émergence de l’enjeu des PFAS*, mais plutôt l’aboutissement de plusieurs années de concertation, amorcée bien avant que la question des PFAS n’attire l’attention des médias et du public.
Les cas médiatisés de forte contamination des biosolides par les PFAS aux États-Unis sont souvent issus d’endroits où des usines produisant des PFAS ont considérablement pollué l’environnement, jusque dans les boues des stations d’épuration locales. Ce genre de cas justifie le moratoire sur l’importation de biosolides provenant des États-Unis imposé par le gouvernement du Québec en mars 2023. Heureusement, il ne reflète pas la situation prévalant au Québec, puisque la production de PFAS est interdite chez nous.
Cependant, il est important de souligner que les PFAS, tout comme d’autres composés organohalogénés nocifs, sont encore largement présents dans les produits importés. Malgré l’interdiction de production locale, ces substances continuent d’entrer au Québec via des biens de consommation courants comme les cosmétiques, les emballages alimentaires, les outils de cuisine et certains textiles. Le contrôle à la source demeure donc essentiel pour limiter leur présence dans les matières résiduelles. D’ailleurs, l’approche globale par rapport aux familles de composés organofluorés du Canada, qui a remplacé l’approche molécule par molécule, devrait être reproduite pour les familles de composés organobromés et organochlorés. Cette approche permettrait d’arrêter la production de produits de remplacement bioaccumulables et persistants, qui nuisent à notre santé et à celle de notre planète.
Nous saluons la concrétisation du nouvel encadrement réglementaire pour les MRF. Bien qu’ils soient un sujet d’actualité, les PFAS ne représentent toutefois pas le principal enjeu environnemental lié à la gestion des MRF.
Dans notre mémoire, soumis lors de la consultation publique sur le nouveau code de gestion des MRF, nous exprimons notre satisfaction face à l’imposition de seuils maximaux pour 13 substances appartenant à la famille des PFAS. C’est un pas dans la bonne direction, surtout en tenant compte de la bioaccumulation de ces composés dans les écosystèmes. Toutefois, nous émettons certaines préoccupations concernant des obligations qui ne collent pas avec la réalité du terrain, particulièrement pour les exploitants de la filière du recyclage des biosolides. L’introduction de l’approche par angle de repos, par exemple, pose un véritable défi d’exploitation. Il serait plus pertinent de renforcer la structure de la matière avant son transport plutôt que d’essayer de la stabiliser une fois sur le terrain.
Un autre des défis du nouveau Code concerne les exigences liées à la gestion des risques environnementaux et à l’acceptabilité sociale, notamment en ce qui concerne les odeurs et les poussières. Si le contrôle des odeurs est une préoccupation justifiée, les exigences proposées dans le Code, bien que conçues dans un souci de protection, ne tiennent pas toujours compte des réalités du terrain. Les agronomes, qui sont souvent les premiers intervenants, pourraient être mis en difficulté par des mesures trop contraignantes, voire inapplicables. Les exigences relatives aux poussières, notamment les nouvelles règles sur le recouvrement de certaines matières, semblent exagérées par la situation actuelle sur le terrain. Il est impératif que ces règles soient adaptées à la réalité des exploitants pour éviter de mettre en péril la viabilité au cœur du virage vers une économie circulaire.
Malgré l’importance de ces exigences pour la protection de l’environnement et de la santé publique, nous devons nous assurer qu’elles demeurent réalistes et applicables sans compromettre les activités des MRF. Un dialogue plus poussé entre les autorités réglementaires et les exploitants du secteur est nécessaire pour ajuster certaines mesures à la réalité pratique des sites de gestion des matières.
Bien entendu, de nouvelles mesures doivent être accompagnées d’un soutien technique et financier adéquat. Pour mettre en place des solutions pratiques et efficaces, il est nécessaire que le gouvernement fournisse un accompagnement réglementaire, mais aussi financier. Les coûts engendrés par les ajustements nécessaires à la filière se chiffrent en millions de dollars. Il faudra plusieurs années pour permettre aux générateurs et aux exploitants de moderniser leurs équipements et leurs méthodes afin de se conformer aux nouvelles exigences.
En somme, si l’on veut réellement soutenir l’économie circulaire et favoriser le recyclage des matières résiduelles, il est essentiel que l’enfouissement des MRF ne devienne pas une option plus facile que leur recyclage. Le recyclage est une solution durable, mais il ne pourra prospérer que si les nouvelles réglementations sont accompagnées d’un soutien technique et financier conséquent. Réseau Environnement continuera de collaborer avec le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) et les autres acteurs du secteur pour s’assurer que les réglementations, bien que rigoureuses, demeurent applicables sans freiner les initiatives environnementales.
Il est important de souligner que les PFAS, tout comme d’autres composés organohalogénés nocifs, sont encore largement présents dans les produits importés.
* Les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, appelées composés per/poly fluorés, ou simplement PFAS (SPFA pour l’acronyme français), sont des contaminants d’intérêt émergent. Les PFAS sont une famille de plusieurs milliers de substances chimiques de synthèses persistantes, qui se dégradent très lentement après utilisation et dont les effets sont bioaccumulables et nocifs pour la santé tout comme pour les écosystèmes